lundi 13 février 2012

De la gamelle considérée comme une discipline sportive

Je pratique la gamelle depuis près de 25 ans. Après en avoir acquis les rudiments au 7e BCA, sur les reliefs poudreux de la Tarentaise, je me perfectionne depuis bientôt 10 ans dans les neiges croutées du massif des Ecrins. Toutes ces années n'ont pas été de trop pour acquérir une technique efficace et je peux désormais affirmer, non sans une certaine fierté, qu’aucune pente n'est trop douce ni aucune neige suffisamment bien tassée que je ne sache, au gré de l'inspiration, improviser quelque gamelle mémorable.

Déconsidérée par mes pairs, boudée par les sponsors, superbement ignorée par le Comité Olympique, la gamelle mérite pourtant mieux que cet ostracisme universel. Prenez le ski acrobatique, par exemple – comment ne pas reconnaitre que pour conclure un triple salto arrière, rien ne vaut une magnifique gamelle. C'est le coup de cymbale après un solo de flute traversière, c'est le professeur de mathématiques qui tombe de son estrade, c'est le plaisir de la couette après avoir enfilé son pyjama, c'est le baiser brûlant après une paire de claques! Les statistiques YouTube sont éloquentes: lorsqu’elle est réussie, le succès de la gamelle, avec ses 1.250.000 vues, éclipse totalement celui de la figure imposée, qui peine à en atteindre 10.000. Et pourtant les jurys, obéissant à une espèce d’angélisme suranné, continuent de la sanctionner comme une faute. Faut-il que leur orthodoxie les ait rendus aveugles? S’ils prenaient la peine de demander son avis au public, ils se rendraient compte que rien n’est plus spectaculaire, plus émouvant qu’un skieur qui s’étale « en beauté ». Ah! comme il est doux de sentir la douleur et la joie, les rires et les pleurs se mêler dans une même mouvement d'exaltation collective! Il faudrait un nouveau Bernin pour immortaliser cela...

Mais il y a gamelle et gamelle... Une chute discrète, une glissade sans conséquences, une petite culbute, si elles peuvent prêter à sourire, ne possèdent pas les qualités stylistiques et athlétiques qui font de la gamelle un spectacle si réjouissant. Je commencerai cet inventaire par une de mes figures favorites.


.................................................. Mon coeur de gamme ..................................................

L'Hector : cette gamelle fait référence au prince d'Illion, le fils de Priam, qui après avoir été tué par Achille en combat singulier fut trainé derrière son char sous les murs de Troie. Remplacez les furieuses cavales d'Homère par une paire de ski fraichement fartés et vous avez tous les ingrédients d’une gamelle dont l'intérêt principal réside dans le dilemme particulièrement cruel auquel la victime se trouve confrontée. Après avoir pris de la vitesse dans de la bonne neige, le skieur pénètre à l'improviste dans une zone de neige croutée. Crack! Ses skis disparaissent sous la glace... Impossible de faire un dérapage, encore moins un virage: il est sur des rails. Panique! Incapable de ralentir comme de modifier sa trajectoire, le skieur se penche en arrière pour essayer de percer la croute glacée avec ses spatules et reprendre le contrôle. Il se penche, il se penche et... Boum! Il finit sur le cul. Et ce n'est qu'un début. A partir de là, tout effort pour se remettre d'aplomb ne fait qu'accélérer le mouvement et prolonger le supplice; c'est la fuite en avant. Wizz! Après avoir tenté en vain de se redresser, il se résigne à se laisser trainer jusqu'à avoir épuisé tout son élan. Le skieur finit généralement trente mètres plus loin, les cuisses en feu et les fesses glacées.