lundi 6 février 2012

Le crétin de la montagne Ste-Geneviève (Paris 5e)

La nouveauté n'a pas le même éclat pour tout le monde. En ce qui me concerne, il faut que la dernière couche ait cessé de briller et que le prix soit devenu raisonnable pour que je puisse contempler l'objet sans défiance et que j'aie envie de lui trouver quelques mérites. Achetés d'occasion en 2004, mes Dynastar Altitrail des années 90 ne présentent que l'ombre d'une parabole, ils sont longs et étroits, passablement rigides et m'obligent parfois à exécuter des stems d'une autre époque mais il faudrait que je les casse en deux - j'y travaille - pour m'en séparer. On me répète que je skierais mieux avec des skis plus larges - on dit wide - et plus courts - plus modernes, autrement dit - or dans mon esprit, opter pour des skis plus faciles serait comme renoncer à essayer de m'améliorer... Je suis indécrottablement old school et si je me fie à mon expérience, la valeur du bonhomme est souvent proportionnelle à la vétusté de son matériel (que ce soit une guitare, une paire de skis ou une scie-sauteuse).



Une fois seulement, j'ai cédé aux sirènes de la nouveauté, et par provocation encore! C'était en 2008, au Vieux Campeur, rue des Ecoles, Paris cinquième. Nous revenions d'une année à l'étranger et je voulais m'acheter une veste d'alpinisme avant de rentrer à St-Firmin. Le magasin, tout en longueur, stocke toutes les vestes de montagne sur un unique porte-manteau - une cinquantaine de modèles au total, rangés par ordre de prix. Les premiers prix se trouvent à l'entrée de la boutique, les vestes les plus chères 20 mètres plus loin, devant la caisse. J'ai expliqué au vendeur que je voulais pouvoir faire du ski de randonnée, de la cascade de glace, etc... Au fur et à mesure que je décrivais l'usage intensif auquel je destinais cette veste et les qualités qu'elle devait posséder, nous nous rapprochions de la caisse, jusqu'à ce que j'ajoute, pensant que ça allait de soi, qu'elle devait me "tenir chaud". Or c'était le tout début de l'avènement de la technologie SoftShell et la nouvelle élite des vestes d'alpinisme - celles qui se trouvaient justement à côté de la caisse - étaient désormais dépourvues de doublures. Elles transpiraient, elles respiraient, elles résistaient à toutes les agressions mais elles n'étaient pas chaudes. A peine eus-je évoqué cette notion de confort que le vendeur me fit faire quelques pas en arrière tout en déclarant sèchement que les vestes que je voyais près de la caisse ne "tenaient pas chaud" - sous-entendant que si je voulais me réchauffer, je n'avais qu'à rester au lit ou me rabattre sur un produit de qualité inférieure.

Le malentendu a persisté un certain temps. A plusieurs reprises, nous dûmes faire marche arrière devant la barrière invisible qui séparait désormais les vestes classiques du nec plus ultra, que je n'étais manifestement pas digne de franchir. Passablement agacé par les manières abruptes du vendeur et par le manque d'explications, je commençais à le soupçonner de ne pas vouloir me vendre une veste SoftShell. Sans doute rêvait-il de s'en offrir une depuis leur dernier séminaire Force de Vente, à Tignes, auquel sa parfaite connaissance des produits lui avait valu d'être invité, et ne supportait-il pas l'idée de vendre leur premier modèle à un client qui, ignorant tout de ce nouveau concept révolutionnaire, serait incapable de l'apprécier à sa juste valeur: je ne faisais par partie des initiés. Il n'en fallait pas plus pour me décider.

Lui tournant le dos, je me suis dirigé vers la caisse et j'ai attrapé la veste qui se trouvait à l'extrémité du rang: la toute toute dernière, celle dont ils ne stockaient qu'un exemplaire. Le temps de l'enfiler et de rabattre la capuche, je pris conscience que tous les vendeurs du magasin me regardaient d'un air horrifié: je venais de toucher au Graal. Même la caissière et l'agent de sécurité avaient interrompu leur conversation pour me dévisager. Il est vrai que cette veste était... extraordinaire. Les fermetures avaient une qualité étrangement organique, le matériau était à la fois souple, épais et délicatement nervuré, comme une feuille de choux synthétique. Quant à son poids, je ne la sentais pas... J'ai du me résigner à payer 740€ (sic) pour une veste qui en coûte aujourd'hui 450, un montant qui me semblait absurde à l'époque et qui me paraît encore totalement disproportionné, n'était-ce pour la satisfaction de voir le péteux s'étrangler sur son argumentaire et celle d'être tombé sur une Mammut Extrême Logan Pro Shell, le meilleur vêtement de montagne que j'aie jamais acheté.

Sans regrets, mais jamais plus.