samedi 25 février 2012

Col de Rouanette (2403m) - topo de la folie ordinaire


Parti seul du hameau d'Archinard (1594m), un peu tard - 12h30 - avec l'objectif d'atteindre la Coupa (2628 m). Pas un chat. Au parking, trois voitures en comptant la mienne et une CX qui m'est vaguement familière. J'y rencontre un skieur qui vient juste de terminer la Grande Autane - le propriétaire de la troisième voiture: "J'avais de la neige jusqu'aux genoux. Il n'y avait personne. Ils sont tous partis skier dans les combes est du Dévoluy. La Coupa? J'ai aperçu un skieur ce matin". Et pour cause: il fait 15°C et ça fond de partout.

Mais je n'avais pas choisi cette course au hasard et mes espoirs étaient heureusement fondés: orienté nord-sud, relativement escarpé, le vallon d'Archinard est encore bien enneigé; ça tient. Quand à la combe nord de Malamorte, elle est en très bon état. Quelques passages de neige croutée, quelques louches de neige fondue en fond de vallon, mais rien de rédhibitoire. A hauteur de la cabane de la Roinette (sic) - 1941 m - j'aperçois un skieur qui descend de Malamorte - c'est la première personne que je croise depuis que je suis parti - il se trouve encore à 1 km mais je reconnaitrais cette godille entre mille: calculée au millimètre près, comme la trajectoire d'une truite dans un torrent, fine et régulière comme de la dentelle. C'est Olivier! Par quel heureux hasard?! Il vient d'enfiler l'Aiguille (2793 m) et le Barle (2733 m) et il propose de m'accompagner à la Coupa. "Dommage que nous ne nous soyons pas croisés un peu plus haut" ajoute-t-il. Olivier se ménage - il a une grande course demain, avec sa championne, et il veut faire bonne impression.


A peine avais-je rencontré mon ange gardien que j'ai commencé à peiner... Allez comprendre. Mes skis se sont mis à botter - la neige colle aux peaux, par paquets, et les empêche de glisser - j'ai d'abord essayé de passer outre et puis au bout d'une demi-heure, j'ai demandé conseil à Olivier, qui a sorti un pain de paraffine et une spatule de son sac et en deux temps trois mouvements m'a hydrofugé les CollTex. Problème réglé. Un peu tard, malheureusement. Nous venions juste d'atteindre le fond de la combe et j'étais déjà cuit. Plus de forces, plus de souffle, plus envie, plus rien. Il restait 400 m de dénivelé et je tenais à peine debout. Si j'avais été seul, j'aurais fait demi-tour. Mais avec Olivier? No way, Jose. C'est à peine si, de temps à autre, je me suis autorisé une pause-soupir.


Nous sommes arrivés au col de la Rouanette à 15h. Pas question de rejoindre la Coupa, qui se trouve 200 m plus haut - "C'est juste à côté, Anthony... - Hombre! Estoy muy, muy cansado!" Il fait chaud: le café au lait est passé de saison. La prochaine fois, j'apporterai de la limonade. Belles vues sur la chaine des Autanes (ci-dessous) et sur ce Grand Clot (ci-dessus), juste en dessous du col, à l'ouest, un magnifique cirque d'altitude où je rêve de venir camper avec les enfants. Pourquoi pas avec Gégé et Olivier et toute la smalah? Je vois déjà les tentes disposées en cercle autour d'un grand feu, les brochettes d'agneau qui marinent depuis la veille - faut-il que le printemps approche pour je rêve de grillades? - le vin qui coule à flots, le ciel étoilé, le sentiment d'être à l'abri derrière cette Echine de l'Ane qui décrit un large croissant au sud du clot. Ce serait comme camper sur la lune. Olivier me sort de mon rêve éveillé: il faudrait songer à rentrer.


La descente a été un calvaire - je n'avais plus de forces - mes guiboles partaient dans tous les sens, je flanchais comme un débutant, j'ai du tomber vingt fois. Heureusement, nous n'étions que deux et Olivier est d'une patience infinie. Si j'avais un minimum de fierté, je me serais cassé quelque chose - mais rien! Pas même une petite fluxion... Arrivé à Archinard, plus mort que vif, j'ai croisé un paysan qui charriait de la paille. Il avait un petit bonnet pointu en feutre, à la mode de Jérôme Bosch. J'ai déduit de son air récalcitrant et des grognements de sa chienne qu'il ne tenait pas les skieurs de randonnée en très haute estime. "Il faut être complètement fada pour monter là-haut en plein hiver!" doit-il penser. Peuchère! Il n'a pas entièrement tort... C'est d'ailleurs ma seule qualification: je skie comme un branque, je tire la langue au bout de deux heures mais je finis toujours par en redemander. Il faut donc que je sois complètement fou. A moins que je ne sois un imposteur. Mais un imposteur ne chercherait-il pas d'abord à éviter les coups? En dernière analyse, je penche plutôt pour la folie: la folie des cimes et des vallons déserts. Saint Antoine, priez pour moi!